Professeure à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD) et experte des questions de marketing et innovation, Nathalie Nyffeler a récemment pris ses fonctions en tant que responsable de la cellule Innovation et Entrepreneuriat à la HEIG-VD.

Nathalie Nyffeler, vous avez récemment pris le poste de responsable de la cellule Innovation et Entrepreneuriat à la HEIG-VD. De quoi allez-vous vous occuper ?

Mon travail s’articule autour de trois piliers. Le premier pilier est lié à l’entrepreneuriat. L’idée est de transformer les technologies et les compétences qui existent dans les instituts de recherche de la HEIG-VD en innovations pérennes. Dans un premier temps, on va identifier les technologies et les porteurs de projet qui ont la maturité nécessaire pour pouvoir intégrer un incubateur d’entreprises (structure d’accompagnement de projets de création d’entreprises), comme par exemple celui d’Yverdon-les-Bains, le Y-START. Pour ce faire, on a un pré-incubateur à la HEIG-VD qui s’appelle STarmac et qui permet de stimuler et d’accompagner les projets d’innovation. Mon rôle est d’identifier les talents, les compétences et les projets qui ont le potentiel pour intégrer notre pépinière (STarmac) et de les préparer à rejoindre un incubateur comme celui à l’Y-PARC d’Yverdon, une fois qu’ils sont suffisamment solides.

Un deuxième pilier concerne le renforcement de la culture de l’innovation au sein de la HEIG-VD. C’est un travail qui va se faire avec tous les acteurs internes (étudiants, corps professoral et chercheurs, instituts de Ra&D, collaborateurs, divers services et groupes transversaux,) et qui permettra de positionner la HEIG-VD comme un acteur leader en matière d’innovation.

Le troisième pilier concerne la représentation de la HEIG-VD auprès des différentes instances de l’innovation de l’écosystème vaudois, régional voir national.

Quelle importance accorde la HEIG-VD à l’innovation ?

L’innovation est au cœur même de la HEIG-VD. Sa mission est de favoriser l’innovation et la compétitivité des entreprises et de devenir leader dans le transfert des technologies et la conduite des processus d’innovation. La HEIG-VD est donc un acteur engagé autour des questions d’innovation. Parmi les forces sur lesquelles notre Ecole a mis l’accent, on trouve la transversalité, l’innovation et la responsabilité en tant qu’acteur engagé dans la société.

Quel est l’intérêt d’impliquer les usagers finaux dans des projets d’innovation ?

C’est difficile de répondre parce qu’il faut revenir à la typologie de l’origine de l’innovation. On peut identifier deux types d’innovation. On observe une innovation qui part de l’invention technologique (« Technology push » ou « Techno push ») pour aller vers le marché. C’est une innovation très présente dans l’ingénierie qui consiste à se concentrer dans un premier temps sur les technologies et de ne se poser qu’après la question des usages qu’on va pouvoir en faire. Cette forme d’innovation est importante parce qu’elle permet des « innovations de rupture » qui peuvent changer les paradigmes existants (le smartphone en est un bon exemple).

On observe aussi une autre typologie d’innovation, à savoir l’innovation qui part des besoins du marché (« Market pull » ou « Demand pull »). C’est moins souvent des innovations radicales mais plutôt des formes d’innovation incrémentale, modulaire ou des processus qui permettent d’identifier les problématiques rencontrées par les usagers et de trouver des solutions pérennes.

En moyenne, près de 80% des nouveaux produits lancés sur le marché n’ont pas de succès et disparaissent dans les deux années qui suivent leur lancement. Je pense que dans un monde qui est de plus en plus sensible aux questions de durabilité et d’économie circulaire, il en va de la responsabilité des entreprises de réfléchir à des solutions qui soient acceptées et adoptées par les usagers finaux. L’innovation centrée sur les usagers est née autour des années 2000 et elle permet justement d’améliorer l’adoption, et donc le succès des solutions innovantes qui sont proposées.

Je pense qu’une bonne innovation doit avoir un bon équilibre entre ces deux approches, l’invention technologique d’un côté et une innovation basée sur la compréhension de la valeur ajoutée pour les usagers de l’autre côté.

En regardant la pandémie du Covid-19, j’ai trouvé très intéressant de voir comment les usages en matière de numérique ont été accélérés. Les outils numériques devenaient centraux pour pouvoir garder le lien et étaient plus facilement adoptés par la population, ce qui montre comment l’adoption et les besoins des usagers peuvent vite changer en situation d’urgence.

Notre société connait un vieillissement démographique très rapide. Quel est l’intérêt d’innover dans le domaine du vieillissement de la population ?

Dans les prochaines années il y aura une telle augmentation des personnes de plus de 65 ans dans nos pays occidentaux que nous serons amenés naturellement à devoir repenser nos systèmes sociétaux et économiques. On devra trouver de nouvelles solutions pour faire face aux défis en matière de systèmes de santé, de marché de l’emploi, de retraite, etc. introduits par le vieillissement de la population.

Il y aura des nouveaux services et de nouvelles opportunités qui vont se créer et je trouve vraiment important d’anticiper parce qu’il y a des enjeux économiques et sociétaux là-derrière.

Est-ce qu’aujourd’hui il y a un réel intérêt pour la silver economy (économie des seniors) de la part des entreprises ?

Si on prend l’exemple français, on observe entre 200 et 250 startups françaises qui s’identifient comme faisant partie de la silver economy, ce qui montre un réel intérêt pour ce domaine.

Je pense que le marché des seniors est un marché qui peut apparaitre très attractif mais qui n’est pas évident car ce n’est pas facile d’amener la bonne solution au bon moment. Je pense par exemple qu’il y a beaucoup de solutions qui ont été développées ces dernières années en lien avec la télémédecine et la domotique mais qui rencontrent de grandes difficultés à être acceptées par le marché des seniors. Pour assurer l’acceptation de solutions, notamment en matière de numérique, la question de la co-création est importante aussi bien avec les seniors qu’avec les proches aidants qui jouent un rôle primordial. C’est tout un écosystème qu’il faut prendre en compte pour amener des solutions qui soient pérennes et qui prennent en considération la volonté d’autonomie des seniors qui se trouve souvent en antithèse avec ces systèmes de monitorage qui sont proposés et qui peuvent être perçus comme une intrusion très forte dans leur vie. Dans ce contexte, des plateformes comme le senior-lab peuvent jouer un rôle très important pour traduire les besoins des seniors auprès des entreprises et identifier comment ces technologies peuvent être amenées sur le marché des seniors.